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Le rapport de la Commission royale : Neuf étapes pour renouveler les économies autochtones

Fred Wien, Maritime School of Social Work, Université Dalhousie

Symposium CAADA-Banque Royale sur l’étude des recommandations visant le développement économique de la Commission Royale sur les peuples autochtones Toronto (Ontario), le 23 octobre 1997

1. Introduction

2. Aperçu du contexte politique antérieur

3. Diversité des économies autochtones

3.1. Le nord des territoires
3.2. Le nord des provinces
3.3. Le sud rural
3.4. Zones urbaines

4. Conditions préalables au développement économique autochtone

5. Les neuf étapes du renouvellement des économies autochtones

5.1. Rendre aux autochtones la maîtrise de leur économie
5.2. Renforcer les nations autochtones
5.3. Favoriser la création d’institutions
5.4. Agrandir les territoires et renforcer les ressources
5.5. Reconnaître les droits ancestraux et les droits conférés par les traités
5.6. Appuyer l’essor des entreprises autochtones
5.7. Soutenir les économies traditionnelles
5.8. Surmonter les obstacles à l’emploi
5.9. Nouvelles approches pour le soutien du revenu

6. Conclusion : l’immobilisme coûterait cher

1. Introduction

La Commission royale sur les peuples autochtones a déposé son rapport final en novembre de l’année dernière. Les sept membres et le personnel de la Commission ont alors atteint la conclusion de cinq années de labeur qui ont inclus trois séries d’audiences publiques dans plus de 100 collectivités, ainsi que l’examen des conseils de 140 intervenants représentant des groupes ou parlant à titre individuel, et l’intégration des conclusions de quelque 340 études.

Jamais une enquête d’une telle ampleur n’avait été faite sur les relations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada ; elle a reposé sur le mandat très vaste recommandé par Brian Dickson, ancien juge en chef de la Cour suprême, et approuvé par le gouvernement fédéral. Ce mandat, qui englobait 16 grands domaines d’investigation, a fait de cette commission l’une des plus marquantes de l’histoire du Canada. Il a aussi conféré beaucoup de poids au rapport de la Commission, qui devait présenter une image détaillée de la situation globale des peuples autochtones et de leurs relations avec le gouvernement canadien et l’ensemble de la société canadienne. Il n’est donc pas surprenant que les observations de la Commission dans le domaine économique dépassent largement les aspects techniques étroits du développement du commerce ou les complexités liées au soutien du revenu. La Commission commence par retracer l’histoire des liens entre les peuples autochtones et les autres peuples canadiens ; ses commentaires tiennent continuellement compte des différences culturelles entre les deux groupes et des liens entre l’activité économique et les autres principales dimensions de l’existence.

Ce résumé a trois buts :

  • Décrire brièvement les différents types d’économies autochtones pour mieux faire comprendre la diversité et la complexité de la tâche d’assurer le développement économique.
  • Passer en revue certaines des conditions préalables au renouvellement des économies autochtones. Quels facteurs faudra-t-il réunir pour que les efforts de développement économique présentent de bonnes perspectives de succès ?
  • Donner un aperçu des points de vue et des recommandations présentés par la Commission dans son rapport final à propos des mesures concrètes à adopter pour renouveler les économies autochtones.

2. Aperçu du contexte politique antérieur

Tout au long de l’histoire, les relations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada ont été déterminées par des choix politiques malencontreux. Les autochtones eux-mêmes se plaisent à affirmer que leur choix politique le plus malavisé a été d’adopter des modalités d’immigration beaucoup trop libérales qui ont permis aux Européens d’envahir l’Amérique du Nord, avec des conséquences catastrophiques. Du point de vue des non-autochtones, le volume 1 du Rapport de la Commission royale cite de nombreux exemples de politiques que ceux d’entre nous qui ont travaillé pour la Commission considèrent avoir été désastreuses, à commencer par la Loi sur les Indiens, les pensionnats, les réinstallations de collectivités autochtones et les politiques visant les anciens combattants autochtones.

Si nous voulions allonger cette liste, nous pourrions ajouter, notamment, les politiques qui ont privé les économies autochtones de leur vitalité depuis deux siècles et leur remplacement par une économie fondée surtout sur les secours sociaux. Une brève rétrospective historique confirme cet argument.

Le premier document de ce volume montre que les nations autochtones ont été marginalisées lorsque le commerce de la fourrure et l’utilité de leurs interventions en tant qu’alliés ont décliné. La période suivante a été marquée par des efforts d’assimilation et des réinstallations qui ont entraîné un effritement massif des territoires et des ressources des autochtones et la disparition presque complète de leur économie traditionnelle. Le résultat a été une pauvreté généralisée et même la famine.

En Nouvelle-Écosse, par exemple, on estime que la population micmaque a baissé de quelque 26 000 individus en 1600 à 1 300 individus seulement au point bas de 1840. La régression de l’économie micmaque a été si profonde que la principale cause de cette chute de la population semble avoir été la famine, et que celle-ci a joué un rôle plus important que les maladies apportées par les Européens. Les manifestations d’indigence et les demandes de secours commencent dès 1767, mais les autorités coloniales n’y ont que mollement répondu :

« En 1768, la Grande-Bretagne avait dévolu la responsabilité des affaires locales aux autorités de Nouvelle-Écosse, mais en ne leur attribuant que peu de ressources pour s’en acquitter. Le problème des affaires indiennes a été largement négligé à la fin du 18e siècle et au début du 19e, sauf lorsque la menace d’une intervention militaire a suscité la crainte que les Micmacs fassent alliance avec l’adversaire. Lorsque cette situation s’est présentée, l’on s’est efforcé de recueillir des renseignements sur la situation et les attitudes des Micmacs et l’on a fait des efforts pour leur venir en aide. Mais aux yeux des autorités, il s’agissait alors de témoignages de bienveillance et pas de l’exécution d’obligations découlant d’ententes antérieures. L’on donnait des couvertures, des pommes de terre, de la farine, du poisson ou du pain. Sporadiques au début, ces secours ont toujours été peu importants ; la valeur annuelle globale de l’aide fournie a varié de 25 à 300 livres pour toute la province. À partir de 1827, l’état de déchéance des Micmacs a été tel qu’il a fallu prévoir pour eux des subventions annuelles. Au fur et à mesure que les ravages causés par la famine et la maladie se sont aggravés, ces subventions ont de plus en plus servi à payer les honoraires de médecins non indiens. »

Vers la fin du 19e siècle et au début du 20e, la situation économique des Micmacs s’est quelque peu redressée. Bien qu’encore très pauvres, ils ont reconquis une certaine autonomie en travaillant à leur compte ou comme journaliers, dans le cadre de l’économie non indienne. Mais un nouveau recul a commencé durant la crise économique des années 1920 et 1930 ; la participation précaire des Micmacs à l’économie a reculé. Jusqu’à cette époque, l’accès à des prestations d’aide et autres secours sociaux était pratiquement réservé aux personnes âgées et aux infirmes. Dans les années 1920, comme le montre le tableau 1, les dépenses consacrées au bien-être social et aux services connexes ont augmenté progressivement, et elles ont fait un bond énorme quand la crise économique a commencé. Le changement n’était pas dû seulement à la gravité de la conjoncture économique, mais aussi au fait que le gouvernement fédéral était disposé à intervenir pour alléger la misère en versant des prestations de bien-être, contrairement aux autorités provinciales un siècle plus tôt.

Le soutien du public et les efforts des gouvernements canadiens pour remédier aux problèmes économiques des peuples autochtones au moyen de paiements de transfert ont augmenté après la Seconde Guerre mondiale. Les peuples autochtones n’ont pas toujours été inclus dans les programmes adoptés par l’État-providence, surtout au début, mais à partir des années 1960, la discrimination à l’égard de l’accès aux programmes sociaux a pratiquement cessé. Ainsi, ayant été privés d’une base économique solide, les peuples autochtones ont de plus en plus fait appel aux programmes d’aide sociale. En 1981, 37 pour cent de la population canadienne vivant en réserve dépendaient de l’assistance sociale ; en 1995, cette dépendance atteignait 45 pour cent. Les projections fondées sur ces chiffres et sur l’évolution démographique prévue indiquent que le taux de dépendance envers les programmes d’aide sociale sera proche de 60 pour cent en l’an 2010 (tableau 2). Dans la région Atlantique, la proportion était de 74 pour cent en 1992 et, selon les projections, elle atteindra le chiffre stupéfiant de 85 pour cent en 2010... à moins d’un revirement spectaculaire.

Ces interventions des autorités publiques sont sans aucun doute généreuses, surtout si l’on songe que les autorités coloniales n’avaient offert aucun secours, pourtant si nécessaire, 100 ans auparavant. Le problème est qu’elles ont été le principal remède, et virtuellement le seul, qui ait été adopté pour réagir à l’effritement de l’économie de ces collectivités. Pratiquement aucune mesure importante n’a été appliquée pour protéger les restes de l’économie autochtone, ni pour en faciliter le renouvellement. Les données historiques suggèrent au contraire que, même au siècle actuel, les mesures adoptées par les gouvernements et les entreprises ont continué d’affaiblir les économies autochtones et d’accroître la dépendance des membres des Premières Nations envers les prestations d’aide sociale. On a continué de construire des barrages, d’inonder des territoires, de polluer des cours d’eau, d’imposer des règlements et de relocaliser des collectivités au profit de tiers et au détriment des collectivités autochtones.

graphique

Nous sommes maintenant pris dans un étau : le fardeau de l’aide sociale et des secours connexes continue d’augmenter, tandis que les fonds disponibles pour le développement économique stagnent ou baissent. Le tableau 3 montre les dépenses prévues par le gouvernement fédéral pour les peuples autochtones en 1995-1996 et les dépenses réelles des années antérieures. L’enveloppe prévue pour ce que l’on pourrait appeler les problèmes sociaux (aide sociale, santé, logement, maintien de l’ordre) est passée de 30 à 40 pour cent du total entre 1981-1982 et 1995-1996. Au contraire, la somme affectée au développement économique (qui inclut divers postes tels que l’aide aux entreprises et les revendications territoriales) a baissé de 10 pour cent à 8 pour cent. La part de l’éducation et de la formation a légèrement augmenté : de 19 pour cent à 22 pour cent.

L’impression générale que laissent ces chiffres ainsi que l’expérience des collectivités autochtones des différentes régions du Canada est que les interventions des gouvernements continuent de viser à soulager la détresse économique en soutenant les revenus au lieu de financer d’autres mesures, souvent plus complexes, qui permettraient de renouveler les économies autochtones.

Il est urgent d’échapper à cette dynamique. Une économie fondée sur l’aide sociale assure un revenu minimum et une certaine sécurité à ses « bénéficiaires », mais en échange d’un lourd tribut sous la forme d’un manque de confiance en soi chez les individus et d’optimisme dans les familles et les collectivités. Sans doute est-il politiquement difficile de changer d’orientation, mais les autochtones sont les premiers à dire que, à long terme, ils ont beaucoup à perdre en maintenant le statu quo. Celui-ci n’est pas non plus conforme à l’intérêt de la société canadienne, car son coût global est déjà très lourd ; de plus, il augmente sans qu’aucune lumière n’apparaisse au bout du tunnel. La solution consiste donc à déterminer ce que nous pouvons faire pour préserver ce qui reste de l’économie autochtone et pour restaurer ce qui a été détruit. Il est important aussi de déterminer comment se déroulera la transition entre des mécanismes qui visent à alléger les symptômes de la déroute économique et d’autres approches susceptibles de rendre les économies autochtones plus autonomes.

3. Diversité des économies autochtones

Avant d’examiner les recommandations de la Commission royale qui touchent le développement économique, il est utile de se faire une idée de la diversité des économies autochtones. Les statistiques globales et les articles publiés dans la presse populaire donnent souvent l’impression que les économies autochtones des diverses régions se ressemblent beaucoup, sur le modèle de Davis Inlet. Mais en réalité, l’on observe de grandes différences dans la façon dont les autochtones assurent leur subsistance et dont leurs collectivités organisent leurs activités de production.

Nous décrivons brièvement ci-dessous quatre types d’économies autochtones différentes en nous fondant sur les renseignements recueillis dans le cadre d’une étude de 16 collectivités, réalisée sous les auspices de la Commission royale. Nous nous sommes efforcés de mettre clairement en évidence les différences entre ces quatre modèles. L’une des conclusions de cette diversité est qu’il serait très difficile d’imaginer, à Ottawa ou même dans les capitales provinciales ou territoriales, des politiques et des programmes uniformes assez souples pour stimuler, plutôt que de freiner, le développement des collectivités autochtones des diverses régions du pays.

3.1 Le nord des territoires

Les deux études réalisées par la Commission à Pangnirtung — Ross River, dans le Nord, et à Nain, au Labrador, portent sur des populations adultes qui s’adonnent majoritairement à des activités traditionnelles de pêche, de chasse ou de piégeage, mais qui le font en recourant à des technologies modernes. L’adoption de moyens pour survivre tout en préservant les richesses naturelles et l’environnement est l’un des principaux défis de la vie dans le Nord.

L’on entend souvent dire que les collectivités autochtones du Nord fonctionnent en économie mixte, c’est-à-dire que les activités traditionnelles de subsistance sont complétées par d’autres éléments, qui peuvent comprendre la vente d’une partie du produit de la chasse ou le salaire d’un membre de la famille travaillant pour le secteur public ou une entreprise privée. De plus, certains membres au moins de la collectivité bénéficient de paiements de transfert tels que des prestations de l’assurance-chômage ou du bien-être social, ou une pension de vieillesse.

La plupart des emplois salariés sont offerts par le secteur public — au niveau du hameau, de la municipalité, de la réserve, du territoire ou du gouvernement fédéral. Il y a aussi des organismes sans but lucratif — des organismes de services sociaux ou politiques financés par un gouvernement ; leur nombre et leurs activités ont considérablement augmenté dans les dernières décennies.

Le secteur privé proprement dit offre aussi, dans le Nord, des emplois salariés et des possibilités de prestation de services mais, en général, le secteur privé est peu développé. Il peut être représenté par une coopérative de produits alimentaires, une entreprise de construction soumise à peu de concurrence en raison de son isolement, des petites entreprises de services desservant la population locale ou les quelques touristes, ou encore des entreprises à domicile d’artistes ou d’artisans.

Les trois collectivités du Grand Nord étudiées par la Commission avaient aussi eu ou s’attendaient à avoir des activités touchant l’exploitation de ressources non renouvelables avec des emplois salariés ou contractuels offerts par de grandes entreprises capitalistiques de l’extérieur ou par des entreprises plus petites, telles qu’une carrière appartenant à un entrepreneur de la localité.

Nous avons constaté dans le Nord qu’il serait possible de modifier considérablement le potentiel économique en passant des conventions globales de règlement de revendications territoriales comportant l’agrandissement des terres détenues, l’élargissement de l’accès aux ressources et l’exercice de pouvoirs de l’autonomie gouvernementale.

3.2 Le nord des provinces

La Commission a réalisé quatre études sur les économies autochtones dans le nord des provinces : les établissements métis d’Alberta ; La Loche, dans le nord de la Saskatchewan ; Lac Seul, dans le nord-ouest de l’Ontario ; et les collectivités montagnaises du nord-est du Québec.

Les types d’emplois qui existent dans les collectivités nordiques des territoires se retrouvent aussi dans celles du nord des provinces, mais avec certaines différences. Notamment, les activités traditionnelles — chasse, pêche, piégeage, cueillette — sont moins généralement pratiquées, mais elles occupent encore une place importante du point de vue de l’alimentation que ces activités procurent et de leur valeur culturelle pour les autochtones.

La place occupée par l’exploitation des richesses naturelles est différente aussi ; contrairement à celles du nord des territoires, ces collectivités peuvent participer à l’exploitation forestière en plus de celle des mines, et certaines exercent même des activités agricoles dans la zone moyenne du nord des provinces.

L’histoire du nord des territoires comprend plusieurs cas de réinstallations destructrices de collectivités, imposées de force par les autorités non autochtones ; le même phénomène s’est présenté dans le nord des provinces. On y trouve aussi des exemples de grands projets d’aménagement de ressources qui ont eu des conséquences sérieuses pour les collectivités autochtones, telles que la pollution causée par une mine ou l’inondation de territoires traditionnels dans le cadre d’aménagements hydroélectriques.

Un thème important, commun à toutes les études de la Commission sur les collectivités du nord des provinces, est celui de l’imposition inopportune de règlements provinciaux et de leurs effets nuisibles sur les terres ou les ressources, ou du point de vue des sources de revenus pour les autochtones. L’on pourrait croire que ces ingérences datent d’époques lointaines, mais l’étude de la collectivité du Lac Seul souligne que les règlements provinciaux visant, par exemple, les lignes de piégeage ou la gestion de l’environnement et de la faune, qui ont dans bien des cas été imposés dans les 30 dernières années, sont à l’origine de problèmes sérieux :

« De notre point de vue, le drame des règles de gestion des ressources venant de l’extérieur est que les décisions des gouvernements non autochtones imposent souvent, sur l’utilisation de nos terres, des restrictions incompatibles avec notre culture et même menaçantes pour elle. De plus, de nombreuses données écologiques que nous considérons importantes pour l’affectation des terres, telles que les lieux de pêche des ours, l’emplacement des nids des oiseaux aquatiques migrateurs et leurs aires de regroupement, les principales zones d’alimentation et les habitats de divers animaux, etc., ne sont bien souvent même pas prises en considération quand les gouvernements non autochtones prennent des décisions touchant l’utilisation des terres dans nos territoires coutumiers. Le gouvernement d’Ontario aurait peut-être hésité à approuver l’inondation de Lac Seul s’il s’était placé dans notre perspective culturelle sur les richesses de nos terres... »

3.3 Le sud rural

Les études de la Commission portant sur des collectivités situées plus au sud, dans des zones rurales, comprennent Alert Bay (une collectivité du littoral de la Colombie-Britannique) ; la nation pégane du sud de l’Alberta ; la réserve des Six Nations en Ontario ; Kitigan Zibi, à Maniwaki (Québec) ; et Big Cove, sur la côte nord du Nouveau-Brunswick. Bien que ces collectivités présentent, elles aussi, de nombreuses différences, elles possèdent certaines caractéristiques communes qui les distinguent des autres économies que nous avons décrites.

Ces collectivités continuent d’exercer certaines activités traditionnelles, mais moins que celles du Nord, parce qu’elles ne disposent souvent que de terres et de ressources limitées. Les activités de pêche, de chasse ou de piégeage peuvent être pratiquées à temps partiel et avoir un caractère plutôt récréatif. Ces autochtones peuvent ramasser du bois de chauffage ou cueillir des baies ou autres aliments pour leur propre consommation.

Bien que ces économies aient un caractère rural, elles se distinguent surtout par le fait que ces collectivités sont proches de grands centres urbains. Certains de leurs membres peuvent donc trouver du travail dans la région, et les habitants de la réserve vont souvent faire leurs emplettes en ville. Mais même ces collectivités peuvent être considérées comme ayant une économie d’enclave, car elles sont insuffisamment intégrées dans l’économie régionale et produisent peu de biens et de services pour le marché extérieur. Les principales exceptions sont, depuis quelques années, les établissements de jeu et le commerce des cigarettes et de l’alcool. En raison de l’emplacement qu’elles occupent, certaines collectivités peuvent attirer une clientèle pour des activités touristiques ou récréatives, telles que le golf ou les parcs thématiques.

Contrairement aux collectivités plus septentrionales, celles qui se trouvent dans les régions rurales du sud ont souvent atteint un degré de substitution des activités économiques plus poussé. Certaines, les Six Nations, par exemple, se préparent pour la prochaine étape du développement économique, qui sera mieux orientée vers l’extérieur pour exploiter le potentiel d’exportation qui ouvre l’accès à un grand marché urbain. Ce niveau de développement nécessite l’adoption de nouvelles infrastructures et des appuis institutionnels, y compris des investissements importants, l’ouverture sur place de succursales bancaires et de mutuelles de crédit, et une planification plus soignée, notamment pour la localisation des entreprises, l’utilisation des terres et la protection de l’environnement.

Dans ces collectivités rurales du sud, toutefois, les structures gouvernementales sont déjà développées. Elles sont le plus souvent gérées par un personnel expérimenté et comportent des unités spécialisées respectivement chargées de services tels que la santé, l’éducation, les services sociaux, le développement économique ou le maintien de l’ordre. Les travailleurs autochtones des régions rurales du sud ont un niveau d’éducation plus élevé que ceux des collectivités du nord, et ils ont des liens plus étroits avec les collèges communautaires et les universités. Il peut y avoir des établissements d’enseignement supérieur au sein ou au voisinage de la collectivité, ou offrant des cours dans des établissements annexes.

3.4 Zones urbaines

La Commission a aussi étudié quatre économies autochtones en zone urbaine, respectivement à Kamloops, Regina (deux groupes : Premières Nations et Métis) et Winnipeg.

La croissance des populations autochtones dans les zones urbaines a deux causes : les migrations vers les villes, et l’accroissement naturel des populations autochtones des zones urbaines. Ensemble, ces deux facteurs créent une forte demande d’emplois, de logements et de services d’éducation et autres ; si ces besoins sont insuffisamment satisfaits, l’on observe les conséquences sociales prévisibles : pauvreté, chômage, bandes de voyous, etc.

Dans les zones urbaines, les possibilités de progrès économiques sont généralement meilleures que dans les collectivités autochtones rurales ou dans les réserves, et les statistiques montrent que les taux d’emploi, les revenus, les niveaux d’éducation et les possibilités de travail à plein temps pour les autochtones sont plus satisfaisants. Mais elles montrent aussi que les autochtones urbanisés sont nettement désavantagés par rapport à l’ensemble de la population.

En général, les autochtones des villes ont des revenus inférieurs à la moyenne et leur niveau d’éducation est peu élevé, mais ils comprennent de plus en plus de membres de la classe moyenne et des professions libérales ayant un niveau d’éducation supérieur ; certains ont aussi bénéficié des emplois créés par des organismes d’intérêt public fondés au cours des trois dernières décennies pour accommoder l’augmentation rapide de la population autochtone urbaine et parler en son nom.

L’économie autochtone urbaine se distingue des autres par certaines caractéristiques :

  • Ses membres vivent au sein d’une population non autochtone importante.
  • Ses membres proviennent généralement de plusieurs nations ou groupes culturels différents et ne forment pas facilement un groupe homogène.
  • Ses membres forment, avec les non-autochtones, un marché important qui peut accueillir de nouvelles entreprises autochtones créatrices d’emplois. L’agglomération comprend aussi des milliers d’entreprises non autochtones établies, qui constituent un élément logique et important de la stratégie d’emploi visant à promouvoir l’autonomie parmi les autochtones.
  • Divers organismes politiques s’occupent des droits et biens des populations autochtones urbaines, mais il est souvent difficile de savoir au nom de quels groupes ils parlent. En outre, ces organismes manquent de ressources et ils n’ont pas assez d’autorité pour faire adopter des mesures de protection de leurs membres.
  • La répartition des compétences reste confuse. Les programmes fédéraux excluent souvent les Métis, et les membres urbanisés des Premières Nations subissent les conséquences des conflits entre le fédéral et les provinces pour déterminer à quel gouvernement il incombe de répondre à leurs besoins et de fournir les ressources nécessaires pour le faire.
  • Sauf dans certains cas exceptionnels, les autochtones urbanisés n’ont pas de terres. L’on pourrait disposer de fonds permettant d’acheter des terrains pour eux dans les zones urbaines en réglant des revendications territoriales globales ou particulières, ou en reconnaissant des droits fonciers conférés par traités ; ces terrains pourraient peut-être recevoir le statut de réserve.

4. Conditions préalables au développement économique autochtone

Dans les dernières décennies, les universitaires, les gouvernements et le secteur privé ont acquis une compréhension plus poussée et, peut-être, plus uniforme des conditions favorisant le développement économique. En ce qui concerne les économies autochtones, nos connaissances s’appuient, entre autres, sur le Project on American Indian Economic Development, réalisé par la John F. Kennedy School of Government de l’université Harvard. Dans le cadre de ces travaux, Joseph Kalt et ses collègues et étudiants ont fait de nombreuses études sur les économies tribales aux États-Unis, dans le but de découvrir les causes du succès de projets de développement économique jugés réussis par les tribus elles-mêmes. Les auteurs comparent ces exemples avec les tentatives plus nombreuses de développement qui n’ont pas abouti.

L’une de leurs observations est que les politiciens et les législateurs concentrent régulièrement leurs efforts sur la découverte d’entreprises commerciales susceptibles de réussir, au lieu de donner la priorité à l’instauration d’un cadre institutionnel et de préconditions appropriés.

Beaucoup de nations indiennes et de leurs chefs pensent que la solution au problème du développement économique consiste à choisir le projet le plus approprié. En matière de développement, les autorités tribales consacrent souvent l’essentiel de leur temps et de leur énergie à déterminer s’il convient ou non de poursuivre un projet : usine, mine, entreprise agricole, motel, etc.

Il est important de choisir les projets gagnants, mais l’on y parvient rarement. Le paysage indien est émaillé de projets manqués parce que les engagements des investisseurs n’ont pas été tenus, que les entreprises n’ont pas attiré de clients, que les dirigeants se sont laissés décourager par la concurrence ou par l’instabilité politique. En réalité, beaucoup de tribus approchent le développement à rebours en voulant choisir d’emblée le projet le plus prometteur au lieu de commencer par mettre en place les institutions politiques et économiques et les stratégies de développement globales. Le succès du développement dépend en partie de la durabilité des projets. D’une façon générale, les projets publics ou privés ne durent que si la réserve s’est d’abord dotée d’institutions politiques et économiques saines, et de bonnes stratégies de développement globales.

Comme l’explique cette citation, le développement économique ne consiste pas seulement à choisir les « projets gagnants ». Selon ses auteurs, les principaux éléments du succès comprennent les suivants :

Cadre externe

Le cadre externe comprend la situation politique, économique et géographique de la réserve ; il comporte quatre aspects particulièrement importants pour le développement économique :

  • souveraineté politique : la mesure dans laquelle la tribu détient vraiment les leviers du pouvoir pour l’utilisation des ressources de la réserve et ses relations avec l’extérieur.
  • potentiel du marché : des créneaux ou des possibilités particulières sur les marchés locaux, régionaux ou nationaux, en raison du fait que la réserve détient des ressources ou des attributs particuliers (minéraux, attractions touristiques, traditions artistiques ou artisanales) ou bénéficie de politiques de soutien de l’État.
  • accès au capital : possibilité, pour la tribu, de mobiliser des capitaux dans le secteur privé, avec l’aide de l’État ou d’autres façons.
  • proximité des marchés : éloignement relatif des débouchés pour les produits de la tribu.

Ressources internes

Les ressources internes comprennent les caractéristiques distinctives de la tribu et les ressources qu’elle peut exploiter. Elles comprennent aussi quatre éléments importants :

  • ressources naturelles : minéraux, eau, forêt, poisson, faune, beauté du paysage, sol fertile, pétrole, gaz, etc.
  • capital humain : compétences, connaissances, éducation, formation pratique ou expérience des travailleurs.
  • régie : lois et organisation de l’autorité tribale, y compris constitution, système juridique, codes commerciaux, administration. Plus les institutions entretiennent efficacement la stabilité et la productivité, plus les chances de succès sont grandes.
  • culture : la façon jugée normale de faire les choses et d’entretenir des relations avec les autres ; les comportements qui en découlent. Meilleure est la correspondance entre la culture et les institutions, plus ces dernières sont légitimes et permettent d’organiser rationnellement le processus de développement.

Stratégie du développement

La stratégie du développement se définit comme étant les décisions prises par la tribu et les approches adoptées par elle pour mettre en œuvre ses projets de développement économique. Deux des décisions en cause sont cruciales :

  • régime économique général : organisation de l’économie dans la réserve — propriété des entreprises et approche de la gestion (entreprise tribale, individuelle ou familiale, coentreprise, etc.). Les perspectives de succès sont meilleures si le régime économique adopté cadre bien avec l’organisation sociale et la culture de la tribu.
  • choix des activités : c’est le choix des projets à mettre en œuvre ; par exemple, dépanneur, établissement de jeu, motel, entreprise de production. Les activités qui présentent le meilleur potentiel de succès sont celles qui visent à exploiter les possibilités offertes par le marché et qui permettent à la tribu de se spécialiser en utilisant ses ressources naturelles ou humaines dans les meilleures conditions et de la façon la plus conforme à sa culture.

Au Canada comme aux États-Unis, il est rare qu’une nation ou une tribu dispose de solides atouts dans tous les domaines, et ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. Les stratégies de développement peuvent reposer sur la promotion d’atouts particuliers ; par exemple, si la nation autochtone décide d’exploiter une technologie de pointe, elle devra promouvoir le perfectionnement de ses travailleurs et s’inquiétera peu de l’éloignement de ses débouchés ou des ressources naturelles dont elle a besoin. En général, toutefois, plus l’unité autochtone mise sur les atouts qu’elle a sur place, meilleures sont ses perspectives de succès.

5. Les neuf étapes du renouvellement des économies autochtones

Après avoir analysé les économies autochtones, la Commission conclut que le facteur le plus important est de créer un contexte favorisant le développement économique. Ses recommandations, qui sont résumées ci-dessous, reprennent beaucoup des éléments mentionnés précédemment.

5.1 Rendre aux autochtones la maîtrise de leur économie

La Commission affirme à de nombreuses reprises qu’il est essentiel que les nations autochtones reprennent en main les leviers de leur économie, car elle y voit un élément majeur de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale. Dans une allocution présentée à une table ronde de la Commission royale, Joseph Kalt a comparé la situation de groupes tribaux américains ayant atteint un niveau de développement économique élevé et stable, à celle d’autres qui n’y sont pas parvenus. Sa conclusion :

L’étude des réserves révèle certains éléments clés favorisant le développement économique. Le premier est l’affirmation de la souveraineté. Il est intéressant de voir que, aux États-Unis, les tribus qui se sont engagées sur la voie du développement économique et ont poursuivi l’effort avec détermination ont toujours affirmé un degré de souveraineté tel que le Bureau des affaires indiennes ne joue plus auprès d’elles qu’un rôle exclusivement consultatif et n’intervient plus dans les décisions...

Pourquoi l’exercice de la souveraineté est-il si crucial ? Pour notre part, nous pensons que c’est en partie parce que le Bureau des affaires indiennes des États-Unis est dans une situation de conflit d’intérêts grave. L’intérêt de cet organisme est à l’opposé de celui des Indiens. Plus le taux de chômage est élevé et plus la pauvreté est grave dans les réserves, mieux le Bureau s’en trouve : son budget et ses effectifs augmentent, et ses pouvoirs grandissent. Les employés de notre Bureau des affaires indiennes sont généralement très bien intentionnés mais ils travaillent dans un cadre qui les met en situation de conflit, puisqu’il n’est pas dans l’intérêt du Bureau des affaires indiennes de promouvoir le développement économique et de réduire la dépendance des autochtones. Nous avons souvent constaté que le Bureau des affaires indiennes entrave le développement économique.

Les travaux de la Commission royale ont confirmé ce point de vue. L’étude de Lac Seul, par exemple, met le doigt sur le manque de pouvoirs pour prendre des décisions concernant les terres et les ressources traditionnelles. Les règlements décrétés par des non-autochtones sont déterminants, et ils découlent d’une vision du monde qui est très différente de celle des autochtones. Il en résulte un conflit culturel qui décourage les Anishinaabés d’entreprendre toute activité économique :

« Faut-il en conclure que, faute d’adopter intégralement les modes d’organisation économique des non-autochtones, nous ne pourrons jamais disposer des ressources nécessaires pour atteindre l’indépendance économique ? Pas nécessairement, s’entend pour conclure notre groupe de concentration. Notre peuple, les Anishinaabés de Lac Seul, possède une vaste connaissance de notre territoire. Nos moyens coutumiers de pourvoir à notre subsistance sont des atouts économiques importants qui pourraient nous aider à entreprendre de nouvelles activités économiques et à enrichir les plus traditionnelles. Si nous jouissions de la sécurité d’accès à notre territoire, nous pourrions adopter des mécanismes de financement appropriés pour exploiter notre potentiel économique. C’est là le « capital » que beaucoup de gens de Lac Seul utiliseraient pour promouvoir notre renouvellement économique. Malheureusement, ils ne peuvent pas utiliser comme ils aimeraient le faire les connaissances, les compétences et les modes d’organisation qui font partie de notre culture ; en effet, il nous manque le principal élément nécessaire pour réaliser à notre façon des projets destinés à assurer notre subsistance : les pouvoirs sur nos terres. »

La situation est analogue à La Loche ; l’étude de cette collectivité montre que la plupart des activités économiques découlent des fortes dépenses qu’impose la lutte contre divers problèmes, tels que le chômage, la pauvreté, l’alcoolisme ou l’éclatement des familles. Les constructions les plus récentes illustrent éloquemment cette situation : ce sont un magasin de spiritueux et une prison... au lieu de bâtiments reflétant une économie dynamique, raisonnablement indépendante des deniers publics. Les chefs de cette collectivité sont parfaitement conscients que la majeure partie des fonds dépensés servent à financer des remèdes à court terme et que, à long terme, la seule solution raisonnable consistera à doter la collectivité d’une économie autonome. Ils aimeraient réorienter les dépenses ou, tout au moins, une partie de leur augmentation annuelle, vers des objectifs économiques, par opposition aux objectifs sociaux, mais ils ne peuvent pas le faire car la quasi-totalité des dépenses est contrôlée par des services provinciaux ou fédéraux indépendants les uns des autres et ayant chacun son propre programme. On a l’impression d’une absence quasi-complète de coordination entre les services et entre les ordres de gouvernement, et l’idée qu’il serait possible de réorienter les dépenses vers des objectifs favorisant, à long terme, les intérêts de la collectivité semble utopique. L’argent que la collectivité reçoit pour gérer ou atténuer les problèmes sociaux augmente continuellement. Si la collectivité avait elle-même plus de pouvoirs et si les fonds qu’elle reçoit n’étaient pas trop liés à des programmes préexistants et ne provenaient pas de différents services autonomes, elle pourrait adopter des approches différentes.

Pour cette raison et pour d’autres, les recommandations de la Commission appuient le droit fondamental des nations autochtones à se gouverner elles-mêmes et elles invitent les autorités fédérales, provinciales et territoriales à faire une place à un ordre de gouvernement autochtone. En attendant que les autochtones accèdent à l’autonomie, la Commission recommande aux gouvernements de cesser de financer séparément des programmes fragmentaires ayant des objectifs ponctuels, et de passer des accords de développement à long terme assortis de budgets globaux et conférant aux autorités autochtones beaucoup plus de latitude pour agencer leur développement économique en fonction de leurs priorités particulières.

5.2 Renforcer les nations autochtones

Le rapport final de la Commission royale présente des arguments convaincants sur l’opportunité de considérer chaque nation autochtone comme une unité chargée d’exercer des pouvoirs autonomes, et d’adopter des mesures pour renforcer et revitaliser cet échelon organique historiquement important pour les peuples autochtones. Par « nation », la Commission entend « tout groupe important d’autochtones partageant le même sens de leur identité et constituant la population prédominante d’un certain territoire ou ensemble de territoires ». Ce terme désigne des groupes culturels tels que les Micmacs dans l’Est, les Mohawks dans le centre du Canada, les Métis dans les Prairies et les Dénés et Inuit dans le Nord. La Commission évalue à environ 60 le nombre de nations autochtones au Canada.

S’il semble préférable d’articuler le développement économique au niveau de la nation plutôt qu’à celui de collectivités plus petites, c’est essentiellement pour des raisons d’économies d’échelle. Un projet non rentable au niveau d’une petite collectivité peut le devenir s’il est adopté par plusieurs collectivités constituant une nation. Il se peut qu’un petit groupe ne puisse pas s’offrir à plein temps les précieux services d’un agronome, mais une nation plus nombreuse pourra peut-être le faire. Le même argument s’applique aux institutions créées pour appuyer le développement économique. Toutes les collectivités ont des services de spécialistes en développement économique, mais chacune n’a pas nécessairement besoin d’avoir sa propre société de capital-risque ou sa propre unité de recherche ou de marketing.

La Commission met clairement en évidence l’importance des économies d’échelle à propos du secteur des ressources naturelles, lorsqu’elle montre que l’adoption de programmes de soutien technique au niveau du secteur et même, souvent, à celui de la province entraîne des progrès importants dans le développement des institutions. Elle puise d’autres exemples dans le domaine de l’agriculture et mentionne des organismes tels que les programmes appelés Programme agricole des Indiens de la Saskatchewan et Programme agricole des Indiens du Manitoba, et la Société agricole des Indiens de l’Ouest. L’efficacité de beaucoup des initiatives touchant l’agriculture ou d’autres domaines a baissé lorsque les fonds dont elles disposaient ont été divisés entre les collectivités ; ces changements ont entraîné une perte de compétences et de soutiens techniques essentiels pour réaliser des projets importants dans le domaine des ressources naturelles.

5.3 Favoriser la création d’institutions

Kalt et ses collaborateurs soulignent que l’élargissement des pouvoirs ne favorise pas, en soi, le développement économique à long terme ; il faut aussi que les gouvernements autochtones agissent pour le stimuler. Pour ce faire, ils doivent créer des institutions efficaces. Celles-ci doivent présenter les trois caractéristiques suivantes :

  1. Les membres de la collectivité ou de la nation doivent considérer que ces institutions sont légitimes et leur accorder leur soutien. Il faut donc qu’elles soient en harmonie avec la culture de la nation. Nous avons déjà souligné la grande diversité des nations autochtones du point de vue du développement économique ; ces différences existent aussi au niveau culturel et à divers autres égards tels que la participation des femmes aux décisions, la préférence accordée à la propriété individuelle ou collective des entreprises, ou la vigueur du leadership que les membres sont disposés à tolérer. Les institutions politiques qui, au sens large, englobent les organisations de développement économique doivent être adaptées à la culture de la collectivité ou de la nation. Elles ne peuvent pas se conformer à des modèles « universels » imposés par des dispositions législatives telles que la Loi sur les Indiens.
  2. D’autre part, les institutions autochtones de développement économique doivent pouvoir appliquer efficacement leurs choix stratégiques, et pouvoir définir des règles et méthodes jugées équitables par la collectivité et appliquées par un personnel professionnel soigneusement formé.
  3. Enfin, les institutions doivent créer un environnement politique qui protège les agents du développement, qui inspire confiance, et qui encourage les engagements et les investissements. À cette fin, il faut notamment :
    • Veiller à ce que les pouvoirs soient divisés et limités, afin de minimiser les possibilités d’abus. En particulier, il faut des mécanismes pour empêcher que le patrimoine collectif soit exploité à des fins individuelles par les détenteurs du pouvoir politique.
    • Créer des mécanismes équitables et impartiaux pour le règlement des conflits.
    • Empêcher toute intervention inappropriée des détenteurs du pouvoir politique dans les décisions au jour le jour des entreprises ou des institutions de développement économique. Les détenteurs du pouvoir ont un rôle important à jouer dans le développement économique ; ce sont eux, par exemple, qui doivent fixer les objectifs à long terme, définir les orientations stratégiques et mettre en place les institutions de développement nécessaires, mais il ne faut pas qu’ils puissent intervenir dans l’exploitation au jour le jour des entreprises ou des organismes de développement économique. Il ne faudrait pas en conclure que la collectivité ne peut pas avoir d’entreprises collectives ou d’organismes de développement de caractère public, mais seulement que ces institutions ne doivent pas opérer sous la dépendance des leaders politiques.

La création d’institutions appropriées est l’un des aspects les plus importants de l’instauration d’un environnement favorisant le développement économique. C’est pourquoi la Commission recommande fortement d’étendre les pouvoirs des collectivités et des nations autochtones dans ce domaine.

5.4 Agrandir les territoires et renforcer les ressources

La Commission pense qu’il est essentiel d’agrandir les territoires et de renforcer les ressources de base des collectivités autochtones pour qu’elles disposent d’assises économiques plus solides. Ses travaux montrent clairement que, pour pouvoir exploiter pleinement leur potentiel économique, les collectivités autochtones doivent disposer de territoires plus vastes et avoir un meilleur accès aux ressources (poisson, minéraux, faune, forêt) ou en avoir la propriété ou la maîtrise.

Les empiétements sur les territoires et les ressources dont jouissaient historiquement les peuples autochtones, et sur les avantages qu’ils peuvent procurer, ont été véritablement stupéfiants, et beaucoup des problèmes créés n’ont pas été résolus. Dans certaines régions, notamment les Provinces maritimes et une bonne partie de la Colombie-Britannique, aucun traité n’a jamais été conclu sur les questions touchant les terres et les ressources (zones de revendications globales). Dans d’autres régions où des conventions ou traités ont été signés, divers problèmes découlant souvent de fraudes, de désaccords sur l’interprétation des ententes ou encore d’engagements non tenus, attendent d’être réglés. Dans d’autres cas encore, les revendications portent sur le fait que des routes, des lignes de transport d’électricité ou des barrages ont été construits sur des terres autochtones sans autorisation ni compensation (revendications particulières).

Les Canadiens seront peut-être surpris d’apprendre que les empiètements sur les terres autochtones ont été beaucoup plus importants au Canada qu’aux États-Unis. Comme le montre le tableau 4, dans la partie du Canada située au sud du 60e parallèle, les terres autochtones n’occupent plus, aujourd’hui, que moins de 0,5 pour cent du total. Aux États-Unis, hors l’Alaska, les autochtones détiennent 3 pour cent du territoire, alors qu’ils constituent une proportion beaucoup plus faible de la population totale.

Au siècle dernier, des terres avaient été réservées pour les peuples autochtones mais elles ont été progressivement rongées, si bien qu’il n’en reste guère plus que le tiers aujourd’hui. La superficie des réserves n’est souvent que de quelques acres, ce qui est insuffisant pour une population en expansion rapide et, surtout, pour servir de base au développement économique.

La Commission appuie ses recommandations en faveur de l’extension des territoires et du renforcement des ressources pour de nombreuses raisons ; les principales sont la nécessité de prévoir assez d’espace pour loger une population en expansion rapide et satisfaire ses autres besoins, et l’importance des terres et des ressources pour soutenir les cultures autochtones. Au niveau économique, l’étude des collectivités autochtones, surtout hors des agglomérations urbaines, montre clairement à quel point les terres et les ressources sont importantes pour permettre la réalisation des aspirations de croissance économique.

Naturellement, il existe d’autres moyens d’accéder à la prospérité ; l’on pourrait même penser que celui-ci n’est pas idéal et que le développement doit désormais reposer sur la connaissance et la technologie, à l’instar, par exemple, des entreprises de matériel informatique et de logiciels de Kanata. Néanmoins, cette vision de l’économie repose sur une contradiction fondamentale. En pratique, la connaissance est indissociablement liée à toute activité économique, y compris le secteur des ressources naturelles. Du point de vue des autochtones, la compréhension et la gestion des ressources naturelles ont toujours exigé de grandes connaissances, et plus encore au fur et à mesure que les technologies et les techniques modernes (telles que les SIG) se superposent aux connaissances plus traditionnelles.

Le rapport final de la Commission envisage de façon détaillée ce que l’on pourrait faire pour agrandir les territoires et renforcer les ressources. Il suggère notamment une approche nouvelle, plus équitable, de l’examen des revendications globales ; le renouvellement ou la renégociation des traités ; la création d’un fonds de financement de l’achat de terres sur le marché libre ; de nouveaux mécanismes pour régler les revendications particulières ; et, à court terme, la rétrocession des terres qui ont été prises aux collectivités autochtones mais n’ont pas été utilisées aux fins prévues.

Les travaux de la Commission montrent qu’il est essentiel de reconnaître clairement les droits des autochtones sur les terres et les ressources, pour transformer profondément la dynamique des relations entre les nations autochtones, les pouvoirs publics et les entreprises non autochtones. Dès que ces droits sont reconnus, les peuples autochtones détiennent les leviers de commande et ils sont mieux placés pour négocier. Ils peuvent, s’ils le désirent, confier à des entreprises de l’extérieur la mise en valeur des ressources ; d’ailleurs, cette solution est la seule qui soit viable si les ressources sont telles que seules des grandes entreprises ont accès au capital et aux moyens d’action nécessaires pour les exploiter. Mais si ses droits sont clairement reconnus, la nation autochtone pourra négocier avec plus d’assurance des conditions d’emploi, de sous-traitance ou de partage des bénéfices favorables. Dans d’autres cas, la nation autochtone décidera peut-être d’exploiter elle-même la ressource. Dans un document traitant du secteur minier qu’il a préparé pour la Commission royale, Jeffrey Davidson, de l’Université McGill, préconise cette solution :

Au Canada, les collectivités autochtones doivent de plus en plus envisager la présence d’installations minières importantes sur leurs terres traditionnelles. Autrefois, ces collectivités prenaient rarement l’initiative d’encourager une prospection intensive sur leurs terres et elles n’accueillaient pas toujours avec bienveillance les projets miniers de grande envergure...

Par ailleurs, les collectivités autochtones ne songent pas sérieusement à promouvoir des activités réglementées d’exploitation minière à petite échelle dans leurs réserves ou sur leurs terres traditionnelles. On le comprend facilement, car les autochtones n’ont aucune expérience dans ce domaine et ils n’ont pas les compétences techniques et commerciales requises pour superviser efficacement ou exploiter avec succès de telles entreprises...

L’intérêt que peut avoir une exploitation minière à petite échelle est qu’elle présente, pour la collectivité, un potentiel beaucoup plus intéressant des points de vue de la création d’emplois, de la régularité des revenus, du développement de compétences administratives, techniques ou commerciales, de la participation aux décisions et de la gestion des incidences sociales et environnementales néfastes de l’entreprise. Les avantages d’une entreprise de ce genre profitent surtout aux collectivités proches. En outre, une exploitation minière à petite échelle est plus facile à intégrer dans l’économie préexistante et elle peut être plus facilement adaptée aux besoins et aux objectifs sociaux, économiques et politiques du groupe...

Ainsi, l’agrandissement des terres et le renforcement des ressources, surtout lorsque les autochtones ont juridiquement des droits évidents, doivent être des éléments majeurs de toute stratégie visant à renouveler les économies autochtones.

5.5 Reconnaître les droits ancestraux et les droits conférés par les traités

Comme on l’a vu dans la section précédente, l’un des principaux moyens d’agrandir les territoires et de renforcer les ressources est de reconnaître les droits des autochtones. Ceci est particulièrement évident lorsque les droits ancestraux sont confirmés par le règlement d’une revendication globale prévoyant, en outre, la fourniture de capital et d’autres appuis au développement économique ainsi que, dans certains cas, une définition de l’autonomie gouvernementale. Que cette démarche aboutisse à un accroissement des possibilités d’affaires ou à la création de nouveaux postes dans le secteur public, elle entraîne un élargissement important du potentiel économique. L’on devrait atteindre des résultats analogues, quoique plus limités, en réglant des revendications territoriales particulières, en confirmant les droits territoriaux conférés par les traités et en renouvelant, renégociant ou appliquant les autres dispositions des traités.

La Commission royale a examiné avec attention les problèmes entourant les droits ancestraux et les droits conférés par les traités, et son rapport contient des recommandations détaillées à ce sujet. La Commission recommande notamment l’abandon de la politique d’extinction des droits, ainsi que l’adoption de lois et de méthodes et la création d’institutions qui amélioreraient l’équité et la productivité de la négociation des revendications globales et, au besoin, la remise en question des traités existants pour remédier aux injustices historiques ou pour en adapter les dispositions aux réalités du monde moderne.

5.6 Appuyer l’essor des entreprises autochtones

Les études de cas et les autres rapports de la Commission donnent une idée du type de mesures que l’on pourrait prendre pour favoriser le développement d’entreprises autochtones en plus de celles qui ont déjà été mentionnées (p. ex., agrandir les territoires et renforcer les ressources) pour encourager la création d’entreprises. En voici quelques-unes :

  • Faciliter l’accès au capital en implantant des établissements bancaires dans les collectivités ; en fournissant des fonds pour financer des petits cercles de crédit ; en renforçant les sociétés de capital-risque autochtones ; en ayant plus largement recours à des prêts renouvelables ; en éliminant les obstacles à l’accès au crédit par divers moyens tels que le système de garantie de prêts de Kahnawake ; et en fondant une banque nationale pour le développement autochtone.
  • Encourager l’entrepreneuriat en améliorant les services de consultation aux entreprises et en prévoyant des appuis pour les nouvelles entreprises dans les mois cruciaux qui suivent leur création.
  • Améliorer l’accessibilité des marchés en adoptant diverses mesures telles que l’établissement de programmes de réservation contractuelle efficaces, ou en prévoyant des appuis pour la création d’une fonction de promotion commerciale au sein des institutions autochtones de développement économique, et l’étiquetage, la protection et la promotion de produits exclusivement autochtones.

5.7 Soutenir les économies traditionnelles

Nous avons déjà mentionné l’importance de l’économie traditionnelle ; elle comprend surtout, dans le cas des populations du Nord, l’ensemble des activités que les autochtones privilégient pour assurer leur existence et se procurer des éléments nutritifs ; elle est considérée comme cruciale dans une économie mixte et comme soutien des connaissances écologiques des autochtones. Les travaux de la Commission ne laissent aucun doute : l’économie traditionnelle restera privilégiée parmi les nombreuses approches possibles pour permettre aux autochtones d’assurer leur subsistance.

L’une des principales difficultés auxquelles se heurtent les personnes qui désirent assumer leur propre subsistance en pratiquant des activités traditionnelles axées sur l’exploitation des ressources de la terre et de la mer est de trouver le moyen de financer l’achat du matériel de chasse, des motoneiges, de l’essence et des pièges. L’argent que peuvent produire un travail à temps partiel, la vente du produit de la chasse ou les versements de transferts est souvent insuffisant ou inutilisable. L’actuel système d’aide sociale, par exemple, décourage l’exploitation de la faune en pénalisant les assistés auxquels elle procure certains revenus, et les règles pour le versement des prestations obligent les chasseurs à rester au voisinage de leur collectivité.

La Commission s’est attentivement penchée sur un programme de soutien du revenu différent, élaboré par les Cris de la baie James et maintenant mis à l’essai dans d’autres régions du pays. Le principe consiste à offrir aux chasseurs autonomes qui exercent d’autres activités productives un revenu complémentaire calculé en fonction du temps qu’ils passent sur le terrain. Le revenu complémentaire minimum dépend des besoins familiaux. Le système prévoit aussi, pour les activités de cueillette, des prestations de revenu complémentaires calculées à un taux quotidien en fonction du nombre de jours consacrés à ces activités.

Naturellement, ces soutiens ne sont pas les seuls que nécessite le maintien des économies traditionnelles. À l’égard de l’exploitation de la faune, par exemple, la Commission recommande l’octroi de prêts renouvelables, le renforcement des structures d’encadrement des utilisateurs des ressources, la fourniture d’une formation appropriée pour les trappeurs, et un appui pour un programme d’échange des pièges facilitant l’adoption de nouvelles technologies de piégeage.

5.8 Surmonter les obstacles à l’emploi

Une des questions les plus utiles qui aient été posées dans le cadre du sondage parmi les peuples autochtones, réalisé en 1991 par Statistique Canada, consistait à demander aux répondants d’indiquer à quels obstacles ils se heurtaient pour trouver de l’emploi. Les résultats sont présentés dans le tableau 5 :

Tableau 5 : Obstacles à l’emploi par groupe d’autochtones âgés de 15 ans et plus ayant cherché un emploi 1990-1991

Obstacle perçu Indiens en réserve Indiens hors réserve Métis Inuit
Peu ou pas d’emploi 75,2 61,4 62,4 71,1
Éducation ou expérience de travail inappropriée 40,1 40,1 42,6 38,0
Manque de renseignements sur l’emploi 32,3 25,0 22,4 23,4
Le fait d’être autochtone 22,2 25,5 11,7 11,9
Absence de services d’aide à l’enfance 8,1 8,5 8,4 9,3
Autres obstacles 7,3 12,6 8,7 8,5

Remarque : Pourcentage de répondants ayant mentionné chaque obstacle.

Source : Statistique Canada, Enquête sur les peuples autochtones (1991), catalogue n° 89-534.

Accroître le nombre d’emplois disponibles. D’après ce sondage, l’obstacle le plus important, et de loin, est la rareté des emplois. L’ampleur du chômage ou le sous-emploi dans les collectivités autochtones est généralement fonction, à la fois, de la situation particulière de la collectivité — niveau de développement des entreprises, niveau d’éducation ou de formation de la population adulte — et de la conjoncture économique générale. Bien que la corrélation ne soit pas parfaite, les taux de chômage sont généralement bien plus élevés dans les collectivités autochtones situées dans une région à chômage élevé, telle que les Provinces maritimes ou le Nord, que dans les régions plus privilégiées.

Les autochtones et leurs institutions sont donc très directement concernés par les politiques économiques fédérales, provinciales et territoriales. La politique macro-économique fédérale est particulièrement importante pour eux car les moyens d’action qu’elle utilise, tels que les taux d’intérêt et de change et la fiscalité, déterminent le niveau général de l’activité économique, et influent donc massivement sur le nombre et le type d’emplois créés au niveau local. Lorsque des emplois sont disponibles, tout semble fonctionner mieux : il est plus encourageant de participer à des programmes de formation ; l’obtention d’un diplôme ouvre des possibilités nouvelles ; les techniques de recherche d’un emploi semblent plus efficaces.

Éducation et formation. Le deuxième obstacle est l’impression qu’il n’y a pas de correspondance directe entre l’éducation ou la formation, et les emplois offerts. Les travaux de la Commission sur le développement économique traitent de façon répétée des problèmes liés à l’éducation et à la formation ; pour de bonnes raisons, car les données disponibles montrent clairement les rapports entre le niveau d’éducation et le chômage (ainsi que beaucoup d’autres indices de la situation sur le marché du travail). En fait, l’on peut difficilement s’attendre à ce que les stratégies adoptées pour accroître les possibilités d’emploi soient couronnées de succès si elles ne sont pas étroitement liées à d’autres stratégies destinées à assurer la disponibilité d’autochtones suffisamment formés pour assumer les nouveaux postes.

L’éducation et la formation ont occupé une place importante dans les travaux de la Commission et dans les recommandations du rapport final. Parmi les études économiques parrainées par la Commission, celle qui traite le plus directement de cette question mentionne le modèle très positif et réussi des collèges tribaux des États-Unis ; elle fait aussi état de la pénurie de personnel autochtone ayant reçu une formation dans les domaines touchant le développement économique, et l’absence d’autochtones dans les professions scientifiques et mathématiques. Elle recommande à cet égard une stratégie à trois volets :

  • Encourager le « désir d’être » et fournir les encouragements pour « devenir ».
  • Créer les assises appropriées pour promouvoir l’étude d’une discipline scientifique.
  • Susciter un environnement favorisant l’acquisition de connaissances parmi les étudiants autochtones pour que, à la sortie de l’école secondaire, ils puissent accéder à un programme conduisant à un grade ou diplôme scientifique décerné par un établissement d’enseignement technique ou une université.

Améliorer les réseaux d’information. Même si l’on crée des emplois en nombre suffisant et qu’il existe des autochtones qualifiés pour les occuper, encore faudra-t-il veiller à établir le lien entre les deux. Les travaux de spécialistes des sciences sociales montrent clairement que, dans 80 pour cent au moins des cas, les emplois vacants sont attribués à des candidats qui ne sont pas recrutés par des voies « officielles » telles que des annonces dans les journaux, mais par l’entremise de réseaux interpersonnels comprenant des personnes qui sont au courant du poste à pourvoir et d’autres qui sont en relation avec elles.

Si l’employeur n’est pas autochtone, ces réseaux sont généralement inexistants, pour la simple raison que l’entreprise n’emploie probablement aucun autochtone et qu’il est peu probable que l’employeur entretienne des liens personnels avec la collectivité autochtone. Même si l’entreprise est plus grande et utilise des méthodes de recrutement « officielles » telles que des annonces, le cheminement de l’offre d’emploi est souvent tel que le poste est pourvu avant la publication de l’annonce. Souvent, par exemple, une convention collective confère aux employés existants un droit de priorité s’ils possèdent les compétences requises. Souvent aussi, l’employeur commence par examiner les demandes d’emploi déjà reçues pour voir si elles révèlent l’existence d’un candidat approprié.

Pour combler ce fossé dans la communication et amener candidats et employeurs à se parler, il est essentiel que le secteur public mette à leur disposition un service de recrutement axé spécialement sur la population autochtone. Malheureusement, de tels services n’existent pas dans toutes les agglomérations canadiennes, et ceux qui existent ont de la difficulté à trouver les moyens de financement régulier et suffisant dont ils ont besoin.

Ententes avec les grands employeurs. Après le manque de renseignements sur l’emploi, l’obstacle le plus important mentionné par les répondants du sondage est le fait « d’être autochtone », ce qui sous-entend l’existence d’une certaine discrimination. Ceci confirme d’autres données recueillies dans le cadre des travaux de la Commission, selon lesquelles la discrimination constituerait un important obstacle à l’emploi.

Pour éliminer les obstacles à l’emploi auxquels se heurtent les autochtones, le rapport final de la Commission propose une nouvelle approche fondée sur l’hypothèse que la plupart des employeurs n’ont que peu de liens avec les collectivités autochtones, si bien que les membres de ces dernières ignorent les ouvertures qui se présentent et que les employeurs ne savent pas comment recruter des autochtones ni créer un environnement qui les encouragerait à rester après qu’ils aient été embauchés. Il existe au moins trois autres obstacles à l’efficacité d’un programme d’équité dans l’emploi. Le premier est le manque de candidats ayant les qualifications requises pour les emplois disponibles. Le deuxième est la passivité relative de la plupart des employeurs dans le recrutement : ils attendent généralement que les candidats autochtones viennent à eux et leur fassent connaître leurs qualifications. Le troisième est que les méthodes de recrutement de la plupart des employeurs sont axées sur la recherche de candidats individuels et que les entreprises ne font pas d’efforts pour établir des contacts avec des collectivités particulières.

L’on pourrait donc envisager d’établir des liens entre les employeurs et les organismes autochtones, surtout ceux qui offrent des services d’emploi, de formation et de placement. L’employeur donnerait une description générale des postes pour lesquels il recherche souvent des candidats, ou qu’il peut devoir combler dans un délai particulier. L’organisme autochtone pourrait alors trouver, en collaboration avec l’employeur, des membres de la collectivité susceptibles de présenter rapidement leur candidature ou, en l’absence de personnes ayant les qualifications voulues, de recevoir la formation nécessaire pour remplir ultérieurement les conditions d’admissibilité requises. L’organisme autochtone collaborerait aussi avec l’employeur pour déterminer quels changements pourraient être apportés aux conditions de travail pour la rétention des nouvelles recrues. En d’autres termes, la recommandation propose une approche fondée sur une planification à long terme en collaboration entre les parties concernées.

Cette approche permettrait de répondre à la nécessité pressante de fournir des emplois à une main-d’œuvre autochtone en expansion rapide. Elle permettrait aussi de prévoir la formation théorique et pratique dont les autochtones auront besoin pour accéder à des emplois de forte demande créés par l’accession à l’autonomie gouvernementale ; cette formation pourrait comprendre des stages de plusieurs années conduisant à des fonctions au sein du gouvernement autochtone.

Services d’aide à l’enfance. Le dernier obstacle mentionné dans l’enquête sur l’emploi est l’absence de services d’aide à l’enfance, qui a été mentionnée par près de 10 pour cent des répondants. Bien sûr, ces derniers ont surtout été des parents et des femmes. Cet obstacle touche près du quart des répondants. Le problème ressort clairement aussi des travaux de la Commission, qui mentionnent l’insuffisance des services de garderie et le fait que les services existants sont culturellement inappropriés, que les réglementations provinciales et territoriales sont culturellement insensibles, qu’il existe des conflits de juridiction entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et que l’on manque de personnel ayant reçu la formation requise pour s’occuper des enfants, parmi d’autres problèmes. Toutefois, ces problèmes ont été atténués par certaines initiatives récentes telles que le programme fédéral Bon départ à l’intention des autochtones et le programme fédéral d’aide à l’enfance pour les Premières Nations et les Inuit. À moins que ce problème ne soit résolu, les femmes autochtones ne pourront pas profiter des possibilités d’éducation, de formation et d’emploi qui leur seront offertes.

5.9 Nouvelles approches pour le soutien du revenu

Comme on l’a vu, les collectivités autochtones touchées par un chômage élevé reçoivent normalement d’importants apports de fonds sous forme de transferts provinciaux ou territoriaux et, surtout, fédéraux. Les prestations de sécurité sociale telles que l’assurance-chômage, la pension d’ancien combattant et la pension de vieillesse font un certain apport au total, mais l’élément le plus important est l’assistance sociale ou les prestations de bien-être.

Ces transferts sont généralement considérés comme un droit et attribués à titre personnel en fonction des besoins, sans qu’on exige beaucoup en retour de la part du bénéficiaire. Leur principale raison d’être est d’établir un revenu-plancher permettant aux bénéficiaires de se procurer nourriture, gîte et chauffage.

Comme on l’a vu à propos des programmes de soutien pour la cueillette, les transferts pourraient prendre d’autres formes ; ils pourraient être conçus de façon à encourager les activités productives et, d’ailleurs, certaines collectivités autochtones exploitent déjà la faible marge de manœuvre qu’on leur laisse pour utiliser les fonds de l’assistance sociale d’une façon plus imaginative. Par exemple, elles versent des salaires au lieu de prestations d’assurance sociale à des personnes qu’elles font travailler sur des projets de logement. D’autres exigent des bénéficiaires qu’ils présentent un plan d’action pour se libérer de l’assistance sociale et qu’ils mettent ce plan à exécution.

L’écart le plus radical par rapport aux méthodes généralement reçues pourrait être l’adoption d’une approche fondée sur les droits communautaires, s’inspirant d’un programme d’emploi australien. La collectivité décide démocratiquement de renoncer au système du droit individuel à l’assurance sociale en échange d’un droit collectif, puis elle adopte, par exemple, un plan d’amélioration des infrastructures collectives ou de développement économique, qu’elle soumet à l’organisme dispensateur des fonds. En Australie, cet organisme est l’Aboriginal and Torres Strait Islander Commission. Si le projet est approuvé, une somme égale à celle que la collectivité aurait autrement reçue est remise à la collectivité, qui touche aussi un complément pouvant aller jusqu’à 20 pour cent pour financer le matériel requis pour réaliser le projet. Au fur et à mesure que les travaux avancent, les personnes qui y travaillent touchent un salaire au lieu des prestations sociales. Ainsi, la collectivité réalise des travaux qui contribuent à son développement socio-économique. C’est là un exemple, parmi d’autres, de la façon dont les fonds de l’aide sociale qui, d’ordinaire, servent exclusivement à financer la consommation, peuvent être utilisés pour créer des emplois et amorcer le développement économique des collectivités autochtones.

6. Conclusion : l’immobilisme coûterait cher

Dans le domaine du développement économique, comme dans les autres domaines visés par son mandat, la Commission royale recommande des changements radicaux. Son rapport a été chaleureusement accueilli par les chefs autochtones ; par contre, certaines autorités non autochtones semblent vouloir l’ignorer et d’autres semblent vouloir n’en retenir que quelques réformes mineures. Il est donc important de comprendre que le coût de l’immobilisme est énorme, et qu’il augmente progressivement. Comme l’a expliqué John McCallum dans sa présentation, des milliards de dollars sont gaspillés chaque année parce que le Canada ne fait rien pour exploiter pleinement le potentiel économique des peuples autochtones et qu’il tolère au contraire de très faibles taux de participation à l’effectif du travail, des niveaux de chômage monstrueux, et des rémunérations dérisoires en contrepartie des efforts de production et des autres contributions à la création de richesses.

En termes concrets, la Commission montre que le coût de l’immobilisme s’est chiffré à 7,5 milliards de dollars en 1996, si l’on inclut le coût net du manque à produire, le coût des palliatifs et des programmes d’assistance, et le coût du manque à gagner sur les recettes fiscales. Et ce n’est pas tout : si les politiques actuelles persistent, le coût du statu quo pourrait atteindre 11 milliards de dollars en 2016.

Même si l’on ne retient pas les arguments moraux, juridiques, sociaux et autres qui militent en faveur du changement, l’argument financier mérite qu’on s’y arrête. À court et à moyen termes, l’instauration des changements fondamentaux recommandés par la Commission — par exemple, la redistribution des terres et des ressources ou l’autonomie gouvernementale — coûtera plus cher que le statu quo, mais elle commencera à porter fruit d’ici 10 ans. La Commission prévoit que, dans 15 à 20 ans, les coûts associés aux mesures qu’elle propose seront inférieurs à ceux qu’entraînerait le statu quo, parce que ces mesures produiront un accroissement des revenus des peuples autochtones et une amélioration de l’équilibre entre les dépenses et les recettes publiques.

D’une façon générale, la Commission considère qu’il est essentiel de renoncer immédiatement aux habitudes acquises et d’avoir le courage et la perspicacité d’instaurer de nouvelles relations entre les Canadiens autochtones et non autochtones dans la partie de l’Amérique du Nord qui leur appartient collectivement.

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07/31/2007 15:46:38